Rapport Gillet : une attaque de plus contre la recherche publique et les statuts des personnels
Le rapport de la mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation (commandité par la ministre à Philippe Gillet) a été publié le 15 juin 2023. Celui-ci fait quelques constats que l’on pourrait partager mais les remèdes proposés sont de poursuivre, toujours plus loin, les réformes qui sont à l’origine des attaques contre l’enseignement supérieur et la recherche, notamment la LRU et la LPR, et de conforter tous les dispositifs de financement de la recherche sur projets.
Le rapport articule ses propositions avec un ensemble d’outils existants ou en train de se mettre en place (PEPR, PUI, COMP universitaires.…) ainsi qu’avec les financements de France 2030.
Il confirme l’objectif de la ministre d’aller vers des organismes de recherche qui deviendraient des agences de programmes, en s’appuyant sur l’expérience des Programmes et Equipements Prioritaires (PEPR). Dans ce schéma, les organismes de recherche pilotent les Programmes Nationaux de Recherche (PNR). Comme c’est le cas avec les PEPR, tous les labos n’émargeront pas à un PNR. On en connaît déjà les effets : limitation de la liberté de recherche et/ou moyens insuffisants ; et leur corollaire, le déclin de la recherche française dans les classements internationaux.
Le rapport essaie de nous faire croire qu’il y a un palliatif en soutenant la « prise de risque ». Sauf que celle-ci est vue à travers le prisme des jeunes recrutés, de la prématuration, de la "détection agile" de "concepts émergents" ou de "bulles de créativité émergentes" !!
Il fait également l’éloge des Pôles universitaires d’innovation (PUI) et promeut le "chercheur-entrepreneur" ainsi que l’implication des régions dans les PUI. Encore et toujours plus d’inféodation de la recherche publique aux besoins du privé.
Le vocabulaire de la performance est présent partout dans le rapport, notamment pour se féliciter de la mise en place de contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) dans les universités dès 2023. La logique est simple : si les objectifs fixés par le gouvernement sont atteints, il y aura encore des financement, sinon, non. C’est la négation de l’obligation pour l’État de financer les services publics nécessaires.
Partant du postulat donné par la lettre de mission qu’il faut « reconnaître le rôle de chef de file des universités à l’échelle d’un site », le rapport décline les conséquences attendues, en commençant par les COMP des universités, qui engageront aussi les organismes de recherche, notamment sur les postes (chercheurs et ITA). La délégation de gestion d’une UMR revient en force dans ce rapport, avec l’objectif d’un périmètre large pour la délégation, y compris pour le recrutement de contractuels. Dans ce contexte, l’objectif de transformer le directeur d’unité (DU) en manager aux responsabilités étendues, est affirmé.
Les mesures prises en 2023, notamment la vente forcée d’une partie du site historique de Meudon-Bellevue et la suppression du site IRD de Bondy (seul organisme de recherche présent en Seine-Saint-Denis), éclairent le sens réel de « reconnaître le rôle de chef de file des universités à l’échelle d’un site ».
D’autres projets, qui datent et ont échoué jusqu’à présent, sont remis au goût du jour :
- La modulation de service des enseignants-chercheurs, mesure d’application de la LRU que la mobilisation de 2009 avait réussi à contrecarrer, doit, d’après le rapport, faire l’objet d’évolutions réglementaires dans le but d’en rendre l’« application réelle ».
- La fin du chercheur à temps plein, qui devrait faire entre 32 et 64 h par an d’enseignement.
Et, toujours sous prétexte de financer les décharges des jeunes recrutés (ce n’est pas l’obligation de l’État ?), le rapport préconise le recrutement de Professeurs agrégés du second degré (PRAG) pour les enseignements en premier cycle. Ce recrutement n’aurait rien d’aisé, tant la rémunération des PRAG-PRCE est faible, comme le montre leur mobilisation en ce moment même, avec pour première revendication, soutenue et relayée par FO ESR, le réalignement de leur prime statutaire sur la prime des enseignants-chercheurs. En outre, ce serait déconnecter complètement le premier cycle de la recherche.
Sans surprise, le rapport Gillet répond en tout point à la lettre de mission de la ministre. C’est donc un rapport pour tenter de légitimer une réforme que le ministère a déjà préparée.
L’ajout par la mission P. Gillet de la proposition de remplacer le Conseil stratégique de la recherche par un "haut-conseiller à la science" résume bien l’esprit des propositions : le collégial s’opposerait à « l’agilité ». On irait ainsi au bout du processus qui a commencé par la disparition du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT fusionné dans le CNESER), issue de la loi ESR de 2013.
FO ESR se prononce contre les propositions de ce rapport et demande à la ministre de ne pas les retenir.
FO ESR demande à la ministre de décider l’abandon de toute expérimentation de ces propositions, de toute préfiguration des agences de programme, et l’abandon des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) pour un retour à des normes de service public.
La solution, ce n’est pas plus de contractualisation, c’est d’accorder aux services publics les dotations récurrentes qui leur sont dues et d’entendre les revendications sur les rémunérations et les statuts :
- respect du statut de chercheur à temps plein, du statut d’enseignant-chercheur avec une modulation uniquement à la demande écrite de l’intéressé.
Montreuil, le 3 juillet 2023